Bwo a le plaisir de présenter Tales by Women (Des Récits par les Femmes), une exposition collective présentant le travail de Zandile Tshabalala, Ayanfe Olarinde, Wilfried Mbida et Laura Tolen. L'historienne de l'art et curatrice suisse-camerounaise Bansoa Sigam a contribué à l'exposition par un essai.
ESSAI - L'exposition collective «Tales by Women» (Des récits par les Femmes), ouvre l’accès à l'intimité de différents espaces féminins au travers du regard artistique de quatre artistes visuelles émergentes, toutes originaires du continent africain. L'exposition donne de l’espace à une nouvelle génération d'artistes, sous-représentées, qui maîtrisent et se réapproprient des techniques artistiques pour partager leurs histoires. Zandile Tshabalala, Ayanfe Olarinde, Laura Tolen et Wilfried Mbida contribuent toutes, par leurs styles de figuration et d'abstraction distincts et uniques, à transformer la scène artistique en créant de nouveaux récits visuels.
Avec pour objectif de mettre au centre les vies, les voix et les perspectives de femmes noires, l'exposition répond à la question suivante : quels éléments se manifestent lorsque des femmes noires partagent leurs histoires sur la toile ? Dans «Tales By Women», les quatre artistes et leurs œuvres stimulantes racontent de manière surréaliste, expressionniste ou encore cubiste des histoires inattendues de mémoire, de dignité et d'intimité, ancrées dans leurs expériences vécues.
Laura Tolen axe son travail sur la mémoire transgénérationnelle et la réappropriation narrative. Explorant ces thématiques à travers l'autoportrait, elle brouille les frontières du temps et de l'identité. Dans les œuvres exposées, elle se représente enfant ou portant les vêtements de sa mère, adoptant sa posture. Créant des espaces atemporels où s'imbriquent des éléments de réalité et de fiction, elle met en scène différentes versions d'elle-même, ici rassemblées autour d'un jeu d'échecs, de manière surréaliste. Son utilisation de la multiplicité et de la transparence, ainsi que sa palette chromatique d'encre et d’aquarelle, donnent vie à des couches temporelles et identitaires qui coexistent simultanément. Dynamiques mais synonyme d'un sentiment de tranquillité pensive, les œuvres énigmatiques de Laura Tolen amènent la personne qui observe à se questionner sur sa propre relation au temps, à l'espace et à la mémoire.
Travaillant sur l'intimité, la recherche artistique de Wilfried Mbida met l'accent sur les intérieurs des maisons. «Entrer chez les gens, c'est intime», remarque-t-elle, «et représenter leur quotidien et leur environnement n'est pas fréquent dans le contexte camerounais». Sa fine représentation des espaces intérieurs transcende cependant les frontières. Dans cette exposition, ses trois peintures, qui illustrent des scènes au Cameroun et en Côte d'Ivoire, présentent un agencement spatial commun de personnes rencontrées lors de ses voyages. Toutes regardant à travers les fenêtres, à Grand Bassam ou à Bamendjou, fixent la lumière, confrontées aux contraintes spatiales et à un silence retentissant. Elle capture ces scènes, attirée par l'énergie ressentie du lieu, par le sentiment de nostalgie qui éveillent le souvenir.
Le travail de Zandile Tshabalala se concentre sur la représentation et la figuration de femmes noires, célébrant leur existence dans un état de repos. Utilisant principalement l'autoportrait, elle parle de relations, à la fois avec la fabrique sociale et avec soi-même. Les deux peintures acryliques présentées font partie de sa série «Homebody», nous donnant un aperçu de son espace intime, ses lieux de réflexion, de soin et de solitude : la chambre à coucher et la salle de bain. Elle met en lumière des activités domestiques banales qui vont à l'encontre des attentes placées sur les femmes noires, compte tenu des fardeaux intersectionnels auxquels elles sont confrontées. Le repos est dans son art une forme de résistance, la représentation de ce qu'elle appelle un dreamscape, un échappatoire onirique, qui reste souvent inaccessible pour beaucoup en raison des pressions sociétales et de la sous-évaluation du travail des femmes noires. Par ses portraits qui célèbrent le «self-care», la beauté et la sensualité, et qui sont autant de fenêtres ouvertes sur des possibilités, elle contribue à remodeler un récit dominant.
Artiste multimédia, Ayanfe Olarinde adopte une approche expérimentale pour sortir de la rigidité des normes sociales et des canons artistiques. Ses collages, patchworks texturaux et chromatiques, forment des figures cubiques excentriques engagées dans diverses activités. Dans les deux œuvres présentées, elle dépeint des gens ordinaires dans leur vie urbaine quotidienne à Johannesburg. Captivée par la foule qui se rassemble au festival culinaire Kwai Mai Mai, où les femmes autant organisatrices que principales participantes, elle a créé des scènes pleines de références à la culture populaire sud-africaine. Avec des éléments architecturaux, des emblèmes sportifs, des panneaux d'affichage et des prospectus de rue, elle relie les fragments qu'elle a recueillis lors d'une résidence à Johannesburg les assemblant avec sa créativité unique.
Ensemble, ces quatre artistes nées dans les années 1990 nous offrent un regard neuf sur l'identité, la résistance, la mémoire et l’agentivité des femmes. Du pastel à l'acrylique en passant par l'aquarelle, du dessin au collage, elles se représentent elles-mêmes ou les personnes qu'elles rencontrent, capturant des moments intimes à l'intérieur ou à l'extérieur du foyer. S'inspirant des générations et des mouvements artistiques qui les ont précédés, et créant parfois les leurs, elles utilisent librement des éléments fictifs et réalistes pour transmettre leurs expériences vécues, avec beaucoup de vulnérabilité.
En dialoguant dans cette exposition de groupe , elles montrent avec leur perspective unique que des voix différentes peuvent conter des récits de femmes à la fois divers et similaires.
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Bansoa Sigam est une curatrice et chercheuse suisse d’origine camerounaise spécialisée dans les arts et héritages d’Afrique. Célébrée pour ses contributions stimulantes et dotée d’un vaste portfolio de collaborations avec des expert-es culturel-les locales, des musées, des galeries et des universités à travers le monde, elle promeut avec passion la diversité culturelle et l’égalité de genre dans le monde de l’art et le secteur culturel. En cours d’un double doctorat portant sur les matrimoines d’Afrique, elle apporte une compréhension approfondie des traditions artistiques du continent, des transferts culturels, et des héritages invisibilisés de femmes. Fondatrice de Nwola Curatorial Consulting, Bansoa Sigam joue un rôle significatif dans l’enrichissement du discours sur les arts et héritages d’Afrique, offrant des perspectives précieuses à la fois du continent et de la diaspora. Elle prône activement la reconnaissance de l’héritage de femmes africaines, explorant leurs empreintes tant historiques que contemporaines, à travers ses recherches, ses écrits et expositions.